Après une année si riche sur le plan de l'actu, que retenir des
disques qui ont marqué ces douzes derniers mois ?
Ce classement se veut subjectif et n'a aucune prétention
exhaustive. Il comporte juste la promesse d'un grand bonheur auditif.
#10 Jeremiah Jae Rappayamatantra
Un bref coup d’œil à la
couverture de Rappayamatantra et l’on comprend vite que Jeremiah Jae n’est pas
tout à fait sain d’esprit. Le nom de l’EP n’a rien pour arranger la chose. Ce
huit titres, qui se rapproche plus d’un mini LP, traverse les époques avec
psychédélisme et démence. Un père qui vénère Mile Davis et une mère qui chante
l’évangile : les influences qui façonnent le Hip Hop de Jeremiah sont pléthores.
Celui qui s’est fait adoubé par Flying Lotus, possède des touches de Bob James
et un semblant de RZA mais il ne serait pas sérieux de lui coller une
étiquette. Le monde de J.J n’a pas de frontières.
Vous pouvez écouter le produit
sobre, vous ne le serez plus une fois la première écoute achevée.
#9 Spree Nelson - The Never Ending Now
Il chante, occasionnellement rappe,
souvent joue de la guitare, et écrit ses propres textes. Le tout, sans logiciel
superflu ou Auto-Tune. Lui, c’est Spree Wilson, et il nous a offert
gracieusement, à la mi-avril, l’une des plus belles promesses d’avenir. Sans
doute l’heure pour lui, de se faire connaître et reconnaître.
Le présent de quatorze chansons
se consomme dans une ambiance légère et attachante. Le chant est fluide, le
timbre cristallin, le rap n’est pas naturel mais c’est sans doute ce qui fait
toute sa beauté. L’accent nous vient lui
d’Atlanta, et dévore « Love You Better » avec une envie communicative.
« Everything I Own » est une de ces ballades entrainantes qu’on
redemande alors que « Don’t Pass Me By » est d’une délicatesse
apaisante.
Un ensemble surprenant et
captivant !
#8 Common - The Dreamer/The Believer
La sortie tardive de l’album de
Common n’est pas un prétexte pour l’oublier. N’en déplaisent à certains,
l’année calendaire est bien composée de douze mois (RIP la nomination des
Grammy Awards). Et si l’album ne peut s’adonner à un certain recul, les
premières écoutes se montrent sans équivoque : The Dreamer/The Believer
est un très bon cru.
Rarement décevant, Common ne
déroge pas à sa ligne de conduite. Le natif de Chicago se présente comme un
randonneur humble qui apprécie la route qui le mène jusqu’au commet. Comme à
son habitude, il développe une grande affinité pour les pauses jazz et les
boucles soul, comme sur « Cloth ». Cependant, le nouveau Common s’avère
plus glamour et plus festif qu’à l’accoutumé, comme en témoigne le très bon
« Celebrate ».
Partagé entre le rêveur et le
croyant, Common réalise sans doute la meilleure synthèse de sa carrière.
#7 M83 Hurry Up, We are dreaming
« Carry on… Carry
on… », crie Anthony Gonzalez pour la chanson d’ouverture de l’album,
en compagnie de Zola Jesus. Cette introduction témoigne de l’épopée fantastique
qui traverse ce disque. Nous vous présentions M83 en juillet dernier à
l’occasion d’un ‘Song of the Week’. Trois mois plus tard, Hurry Up, We’re
Dreaming fait une entrée remarquée en France mais aussi outre-Atlantique. La
critique est unanime et les talk-shows s’enchainent. En cette fin d’année, M83
truste le haut des classements récapitulatif des douze derniers mois, aux
Etats-Unis comme dans l’hexagone.
Désormais seul cerveau derrière
l’électro atmosphérique du groupe après le départ de Nicolas Fromageau pour
Team Ghost, Anthony Gonzalez fait exploser des sonorités épiques et pop tout au
long des vingt-deux pistes. « Midnight City » en est l’hymne
imparable et incontestable. Installé à Los Angeles depuis quelques temps, le
destin hollywoodien de M83 est en marche.
Grandiloquent et enivrant !
#6 Wu Lyf - Go tell fire to the Moutain
Le jeune groupe de Manchester a
fait une rentrée fracassante et inouïe sur la scène internationale. World Unite
Lucifer Youth Foundation n’est pas signé sur une grosse major et n’inonde pas
la toile de spam comme le fond généralement les rookies. Alors qu’ils
remplissent les salles de concert, les néophytes mancuniens ne donnent que très
peu d’interviews et restent très mystérieux. Les rares morceaux postés su le
web, envoutants et terrifiants, sèment le trouble et nourrissent l’attention.
Alors, lorsque Go Tell Fire To The Mountain apparait,
c’est l’orgie ! L’album est encensé autant qu’il ne dérange. C’est dire.
« Nous avons joué lourdement, chaque nuit, jusqu’à ce que nos voix brisées
atteignent la note juste », raconte un membre du groupe. Enregistrées,
semble-t-il, dans une église, les mélodies sont construites d’orgues et de
guitares. Les chants qui accompagnent sont possédées. Wu Lyf scande des paroles
souvent incompréhensibles. La musique saisit l’oreille et capture l’âme.
« Heavy Pop », d’une délicatesse fragile, est hurlée d’une voix
désespérée et habitée par la lourdeur du monde. L’album est un véritable volcan
rock en éruption où jaillissent les flammes de l’enfer, les idées noires et les
pluies acides.
Un talent énigmatique. Une
insouciance incroyable. Prodigieux.
#5 James Blake - James Blake
Les deux premiers EP de James
Blake, CMYK et Klavierwerke, expérimentaux à souhait, ne laissaient présager un
tel triomphe. Aujourd’hui, le londonien de 22 ans attire les louanges. Il a
même tapé dans l’œil de Kanye West, toujours avide de rencontres musicales
inattendues. Un succès que le britannique doit à un album magnifique et
surprenant.
James Blake questionne les styles
musicaux autant que sa propre expérience. Son œuvre éponyme oscille entre
dubstep fantasmatique et pop introvertie. Il revisite « Limit To Your
Love » de Feist de façon limpide et nous propose une ode délicieuse avec
« Wilhelms Scream ». Dans ses titres, le vide joue un rôle
omniprésent, les silences parlent. L’observation de l’autre, la contemplation
du monde contemporain et de sa solitude urbaine sont autant de thèmes abordés,
d’une voix placide et irréelle.
Cet album, aussi sombre soit-il,
brille de tout l’éclat de son auteur.
#4 The Weeknd - House of Balloons
The Weeknd est assurément l’un
des rookies de l’année les plus talentueux. Déjà présenté sur le blog, par
l’intermédiaire de deux « Song of the Week », l’originaire de Toronto
a illuminé la scène R&B au début du printemps. Un LP somptueux, répondant
au nom de House of Balloons a fait chavirer plus d’un cœur. Une voix des plus
aigües, des complaintes à rallonge, une cover originale, quelques clichés et
The Weeknd installe son univers pour longtemps.
Sa notoriété a encore grimpé
lorsque le canadien a reçu le soutien d’un compatriote de choix, en la personne
de Drake. Ce dernier l’a d’ailleurs invité à poser sur deux titres de Take
Care, un album qui n’en demeure pas moins insipide. « High For This »
et « The Morning » s’imposent comme les deux titres les plus aboutis
du premier essai de The Weeknd. La voix est angélique et douce, souvent
troublante, toujours envoutante.
La musique de The Weeknd ne
ressemble à aucune autre. Et dans une époque de standardisation et de mimétisme
culturels, c’est un grand compliment.
#3 The Throne - Watch the Throne
The Throne, la doublette formée de
Kanye West est Jay-Z, fait preuve de la plus grande luxuriance. À l’heure d’une
disparité croissante des revenues et d’un marasme économique inquiétant, les
deux compères discutent d’abondance, d’opulence et de magnificence, le tout
dans une enveloppe d’or, dessinée par Ricardo Tisci. Légèrement anachronique.
Mais il ne faut pas perdre de vue que nous avons affaire à deux fins
connaisseurs de leur domaine, qui ont bien compris que le rap comme évasion est
aussi important que le rap comme réalité.
Aussi, après une première lecture
aveuglante de l’album, la gloire, la paternité, la race sont autant de thèmes
qui nous amènent à réfléchir. « New Day » nous annonce la naissance
d’une nouvelle ère pour les deux acolytes. La cohabitation est fructueuse :
Jay-Z dans le rôle du sage, Kanye naturellement fougueux. « Otis »
revisite Redding dans un titre triomphant et marquant. Jay’ et ‘Ye sont heureux
et cela s’entend. Le plaisir est communicatif. Le duo façonne son royaume,
qu’importe la personne présente sur le trône. L’entente est si bonne que Hova a
récemment annoncé qu’un deuxième tome pourrait voir le jour dès l’année
prochaine. L’empire n’a pas de limites.
Après avoir fait exploser
Facebook avec le titre H.A.M, battu des records de ventes sur iTunes, The
Throne a entamé une tournée épique il y a près de deux mois, sillonnant
l’Amérique du nord. Et dans un rituel
devenu célèbre, le couple conclut son show par le titre « Niggas in
Paris ». La particularité ? Ils le chantent au minimum à cinq
reprises. Record en date : onze récidives. That sh*t cray !
#2 Bon Iver - Bon Iver
Trois ans se sont écoulés, et
beaucoup de choses ont changées. En 2008, sous le nom de Bon Iver (mauvaise
traduction du français), Justin Vernon publie For Emma, Forever Ago, un album folk
d’une douceur réconfortante. Mais aujourd’hui les temps ont changés. Les états
d’âmes amoureux sont révolus. « On m’a tellement parlé de rupture que je
voulais cette fois arriver avec un disque qui n’aurait strictement aucune
légende. Je ne peux pas me faire plaquer tous les quatre ans non plus »,
plaisante-t-il gentiment. Les dix chansons de l’album, simplement intitulé Bon
Iver, retranscrivent les mois qui ont suivi For Emma et presque toutes portent
le nom d’un lieu précis.
« Perth », le morceau
qui ouvre le bal, nous plonge dans une atmosphère subtile et lumineuse qui ne quitte
pas l’auditeur jusqu’à la dernière note. En plus de ses compagnons de route
habituels, Vernon s’entoure d’une section de cordes et du saxophoniste officiel
d’Arcade Fire, Colin Stetson. « Calgary » s’avère sublime,
« Come Talk To Me » se révèle mirifique. L’ensemble caresse l’ouïe
avec volupté. L’écriture est soignée, les mélodies sont limpides et planantes. Bon
Iver intrigue par sa délicatesse et sa complexité.
Un voyage passionnant, dévorant. Une
œuvre flamboyante. Rien de tel pour passer l’Iver au chaud.
#1 Frank Ocean - Nostalgia, Ultra
On croyait le R&B mort,
disparu… Les pseudo-chanteurs s’orientent les uns après les autres vers la pop
autotunée… Et puis, Frank Ocean débarque,
seul au monde. Son ascension est si fulgurante qu’il est invité a posé sur
Watch The Throne.
Pourtant signé chez Def Jam,
Lonnny Breaux se dirige vers une destinée commune avec sa pléiade de titres
R&B de très bonne facture mais que personne n’écoute. En début d’année, il
y a l’explosion de ce groupe détonnant qui répond au nom alambiqué d’Odd Future
Wolf Gang Kill Them All. Lonny Breaux laisse place à Frank Ocean et joue la
touche smooth d’OFWGKTA. Il bénéficie du buzz d’Odd Future et de l’aura de son
leader déjanté Tyler, The Creator. Mais surtout, Frank Ocean se dévoile avec
Nostalgia, Ultra, une tape qui tombe du ciel, à la fin du mois de février. Une BM
orange sortie des eighties garée dans un bois décor la cover. Pas franchement
emballant et plutôt énigmatique. En réalité complètement nostalgique.
Les curieux qui appuieront sur la
touche play ne le regretteront pas. L’écoute est une divine surprise. Entre les
bruits de K7, Frank Ocean couvre des samples de Coldplay (« Strawberry
Swing), The Eagles (« American Wedding ») ou Mr Hudson (« There Will
Be Tears ») avec une nonchalance merveilleuse. Le natif de New Orleans
séduit avec sa voix complaignante, sa créativité débordante et ses textes
équivoques. « Novacane » et « Swim Good » se détachent
comme deux des titres phares d’un ensemble rafraîchissant et fascinant. Au fil
des écoutes, Frank Ocean se révèle ambivalent. Il est un de ces loveurs
incertains qui veut écouter son cœur mais ne peut oublier totalement son phallus.
À 24 ans, il est ni tout à fait mature, ni vraiment sérieux.
Frank Ocean n’a pas fini de
grandir. Son talent non plus.
Skyzoid.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire